dimanche 23 août 2009

Ultra-moderne solitude

Mercredi 19 août. Au sortir d'une nuit passée à imaginer mon désormais ex ami et sa nouvelle amie dans le même lit, je prends la grave décision de mettre fin à notre amitié sur Facebook, réseau social ô combien maudit qui m'avait donné la veille la sublime satisfaction de savoir "qu'[elle] [arrivait] :)" et avait ainsi occasionné ladite insomnie. L'étrange échange de mails qui s'en suivent et les supplications inattendues de mon ami de ne pas le supprimer -car oui, si je le supprimais, je sortirai quelque part un peu de sa vie, et ça, disait-il, il ne le voulait pas- m'amènent à m'interroger sur la place que cet immense tissu faussement social a fini par prendre dans notre vie.
Bizarrement, pour lui qui a fait le choix de ne plus me voir chaque jour, cette suppression est assimilable à la fin de notre relation en général et à ma sortie de son quotidien. Au départ, je m'indigne de cette vision réductrice et argue que nous avons des tas d'autres moyens de communiquer, puis je me mets à douter : dans le couple, la place de Facebook parmi les autres moyens de communication tels que le téléphone, les mails, les SMS -je n'ose écrire "les lettres", ce serait encore laisser libre cours à mon idéalisme- a en effet pris une place prépondérante. L'étalage de nos vies amoureuses dans les différents statuts: "marié", "en couple", "célibataire" ou encore "c'est compliqué", a dépersonnalisé l'intime, au point où certains en arrivent à la découverte humiliante de leur rupture par le changement de statut plutôt que par une annonce de vive voix.
Le réseau social est aussi devenu un nouveau médium pour dire "je t'aime", "j'aime" ce que tu fais, ou encore "j'arrive" et a ainsi développé une dimension peut-être perverse de l'amour, qui prend désormais une partie de son sens aux yeux des autres dans une espèce de sentiment de possession et d'exhibitionnisme. La triste vérité est que ces petites déclarations d'amour publiques sont quelque part des déclarations d'amour ultimes. Comme lorsqu'ils se tiennent la main dans la rue, les couples veulent afficher ostensiblement leur bonheur par ces attentions virtuelles. Cela n'est pas mal, mais, il faut le dire, sérieusement moins simple, moins beau, et moins poétique que le contact entre deux mains fières. Je continue à croire que la beauté d'une preuve d'amour est qu'elle n'appartient qu'à l'autre, qu'elle est admirable car elle est personnelle, intime et surtout unique.
Aussi, sans amitié sur Facebook, l'autre nous échappe totalement : on abandonne la satisfaction illusoire de regarder sa photo tous les soirs et on perd la curiosité malsaine de savoir avec qui il couche. C'est en ce sens que le réseau social est un médium possessif, car oui, le réseau dit tout de notre quotidien -ou, du moins, ce que nous voulons bien en dire aux autres, et cela est parfois effrayant. Nous en montrons autant que nous aimons en voir et dieu sait si cela parle au voyeurisme de l'homme.
Voilà, le réseau fait partie intégrante du quotidien comme le pain ou le café : on allume l'ordinateur en rentrant chez soi pour se connecter comme on se lave les mains par habitude. Il y a en effet, comme me le disait mon ami, quelque chose de rassurant dans le réseau. Voir le visage de ses amis, connaître leur humeur du jour... tout cela donne l'impression qu'ils sont toujours accessibles, qu'ils sont toujours là. L'appartenance au réseau est apaisante et, de ce fait, perversement addictive. Peut-être parce que nous nous sentons de plus en plus seuls. Peut-être parce la dématérialisation de tout -et même des rapports humains, et même des mains fières- nous rend de plus en plus seuls, là, derrière l'écran, comme des millions d'autres.

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