lundi 9 novembre 2009

Ce qu'il advient des mystérieuses, hommage à Léona Camille Ghislaine D.,

Il est des femmes itinérantes, changeantes, que l’on entrevoie derrière les fougères, dont les yeux-réverbères illuminent encore parfois le vieux Paris comme autant de phares. Léona Camille Ghislaine D. la mystérieuse, dont le surnom n’a d’égal que l’écho de l’espérance a montré la voie parmi toutes les autres, femmes légères qui déambulent, autrefois filles, aujourd’hui rares. J’aurai aimé connaître son visage pour m’y voir davantage ; je tremble de lui ressembler. Merveilleuse. Voici le sort qui lui fut réservé par le tyran du surréalisme. Mais les génies sont cruels. Aux louanges de Breton pour son guide, sa mélusine lui dévoilant les signes succèdent une ode à la nouvelle femme aimée, et –ô ironie amère – l’œuvre qui porte le nom de la fée s’achève sur l’éloge d’une autre, et Nadja se révèle simple intercesseur vers ce nouvel amour fou.
Nadja était un prisme miroitant, folle magique lisant les cartes, mystique inquiétante s’agrippant aux barreaux de la Conciergerie. La femme fascinante n’est jamais celle que l’on choisit. Les idéaux, les allégories effraient. On ne tombe pas amoureux d’une allégorie de la vie surréaliste, ou de la vie tout court, car ce qu’elle incarne est bien trop fort : il n’y plus rien à projeter sur elle, et qu'aime-t-on à part les échos de nos idéaux? Breton a-t-il su aimer Nadja ? L’a-t-il seulement voulu ? Il me semble du moins qu’elle l’a aimé.
Nadja femme-enfant, fragile. Elle est celle qui est une autre sans cesse. L’insaisissable. Fragile exploitée. Fragile poétique. Une fois le surréalisme servi, la belle fantaisie finit à l’asile. Et Breton ne revit jamais celle qui inspira l’un de ses plus beaux écrits surréalistes, celle qui lui avait appris à lire Paris. Celle qui se maquillait très bien les yeux mais délaissait le reste du visage par manque de temps. Avant la fin de leur aventure, il l’avait étreinte. Une fois. Une seule nuit. Une nuit ratée. Une erreur. A croire que l’on ne fait pas l’amour aux femmes-enfants sans en voir le merveilleux s’évaporer dans l’aurore de la campagne –là-bas c’était Saint-Germain-en-Laye.
Le choix de Breton dans une époque autrement plus encline à la fantaisie et à la poésie m’inquiète. Je n’imagine difficilement ce qu’il advient des Nadjas aujourd’hui, si toutefois il en existe encore. Ou bien si justement, je ne l’imagine que trop. Les Nadjas sont devenues des hystériques et des incomprises, les Nadjas veulent trop. Je reste sur le bord du chemin. J’aime toujours les artistes… Le premier Moderne déclamait que la forme d’une ville change plus vite –hélas- que le cœur d’un mortel. De même, doucement, ondoyantes, les Nadja traversent toujours les villes comme les cœurs des hommes pour en ressortir vers des chemins incertains, pour voir les villes ravies par les autres, celles qui ne marchent pas les yeux au ciel. Les voyantes détrônées par les aveugles en somme. Ah ! mais les paupières des aveugles sont plus malléables… et les fougères trop vives…

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