jeudi 21 janvier 2010

Et moi, et moi, et moi

« Me regarder sans complaisance, c’était encore me regarder, maintenir mes yeux fixés sur moi au lieu de les porter au-delà pour me dépasser vers quelque chose de plus largement humain». Michel Leiris, De la littérature considérée comme une tauromachie

Jacques Dutronc est en tournée avec ses cigares et ses lunettes. J’ai réécouté son vieux tube qui chante l’individualisme avec cynisme, et qui sonne si juste en ce début d’année 2010. Assurément, cette nouvelle décennie continuera ce que la précédente avait initié : une ère du blog, du moi plus que jamais.
Comme le soulignait Michel Leiris, il y avait avant un réel risque à écrire sur soi : le dévoilement éditorial des auteurs n’avait rien de virtuel. Aujourd’hui, plus de risques sur les blogs. Et tout le monde y écrit.

Je me demande justement pourquoi j’écris ici, dans quelle gloire de moi-même... Je réfléchis sur ce mouvement de dévoilement et de voilement qui se produit lorsque les mots passent de mon journal à l’écran. Dévoilement si intime lorsque je dis « je » et offre au monde l’intimité de mes sensations. Voilement pudique, mais peut-être lâche, de mon identité derrière une page virtuelle. Cela semble si simple d’écrire ici, presque anodin : des fragments de moi jetées sans conséquences... Dans ce dévoilement, j’éprouve toujours une culpabilité à écrire sur moi, à rester les yeux tournés vers mes yeux devant un miroir – en écrivant cela je me vois me refléter sur l’écran, et Narcisse me guette.
Est-ce cela grandir : « [se] dépasser vers quelque chose de plus largement humain » ? Je voudrai grandir et me dépasser. Je ne veux que ça, mais qu’importe, puisque la première personne que je devrai supporter sera toujours moi-même…
Le dévoilement virtuel présente l’avantage d’atténuer cette culpabilité : je me dévoile sans me dévoiler, et, parmi les milliers d’autres blogs qui crient au moi, je me dis que nous sommes tous autant de nombrilistes invétérés.

Alors, le blog : une question générationnelle ?

En effet, ce mouvement de dévoilement facile me semble pourtant complexe, lourd peut-être de toute l’identité d’une génération. Une génération qui vit à travers un voile, se montre à tout va sans oser se regarder de front.
Les réseaux sociaux aidant, les folles soirées ne s’envisagent plus sans leurs meilleurs amis, les appareils photos ou autres caméras. Dans ces soirées, j’ai parfois l’impression désagréable de ne vivre, de n’exister que par ce support numérique qui viendra s’étaler aux yeux de tous dès le lendemain, comme si l'instant présent, le plaisir d’être ensemble, n’avait de sens que dans son exhibition future. L’appareil photo donc, tout comme le blog, obstacle entre la réalité et nous, jeunes et ivres, apparait comme l’objet sacré de notre exhibition mais aussi paradoxalement, de notre pudeur. Car assurément cette exhibition narcissique cache un besoin pudique mais profond de reconnaissance des autres. C’est ce que cache aussi le culte de l’excès nocturne, sous toute ses formes.
Et au milieu de ce désordre, des milliers de blogs se perdent sur la toile, jetant des cris sourds contre l’inexistence, l’impression d’une vie superficielle dans un monde sans avenir.

La vanité de cette vie, de ces écrits, je préfère l'assumer poétiquement: «je suis superficiel profondément. Ou peut-être profondément superficiel. Il suffira de la couleur du matin »*.

* Richard Bohringer, C’est beau une ville la nuit.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire